Il nous l'avait promis, il l'a fait... Run's est un internaute hors normes, qui nous suit de l'autre bout de la planète et qui n'a surtout pas oublié de vivre, pour notre plus grand bonheur... Ce matin, je suis tombé sur cet article qu'il a envoyé pour notre communauté RDTSienne, je me suis régalé à le lire, j'espère qu'il en sera de même pour vous :
"Bons vents, mauvais vents...
Chargé comme un mulet de paquets emballés de sacs plastiques, une brouette défoncée couine à mes côtés, portant un moteur hors bord. La pluie drue et tiède martelle les pavés de la rue à forte pente.
Déchargement, retour au bateau et re-voyage de sherpas.
Devant un jus d'ananas-goyave, quelques remerciements puis une proposition du capitaine :
Nous appareillons ce soir pour l'argentine, ça te tente ?
Quelques secondes de réflexion :
D'accord !
Sélection de 5-6 kgs de bagages parmi les 30 que je possède : passeport et CB, linge réduit, hamac, cordes et bâche de toile étanche, carnets de croquis et notes de voyage, crayons et aquarelles, une machette courte. Le reste à la garde de mes hôtes.
Je retrouve le plaisir d'un pont mouvant et l'encombrement des drisses, des bouts, des écoutes, des winches, des taquets de pont... Dégonflage et arrimage du zodiac. Hissons une partie de la grand voile pour la forme : peu de vent en cette tombée de jour dans la baie de bahia de todos os santos. Le moteur fera le travail pour cette nuit.
Nous scrutons les ombres des bateaux de pêche non éclairés qui émergent de la nuit au dernier moment et tentons de repérer des balises vert/rouge du port, en panne. L'ancre se plante dans les lueurs dansantes d'une marina de Salvador.
Les cartes signalent qu'on est posé pile sur des câbles sous-marins et dans le passage de la sortie du port. Nous relevons l'ancre pour nous déplacer.
Demain, les papiers de sortie du territoire et de nouveaux horizons. Je m'endors bercé par le lent mouvement du voilier et des rêves d'ailleurs.
Les papiers officiels, c'est jamais un synonyme de simplicité. Il y a toujours celui qui manque mais que bon, finalement à force de gesticulations, de sourires résignés ont arrive à en faire passer à la trappe. Mais il faut quand même sacrifier au rituel : revenir voir le chef, puis le chef du chef, et enfin le chef du chef du chef... Un magicien celui là : avec sa baguette à relativiser la toute-puissante déesse Paperasse.
Les voiles sont hissées pour de bon, le vent est au rendez vous. Les dauphins jouent au loin.
Nous avons pour objectif de rejoinddre l'uruguay puis l'argentine en petite étapes pour profiter de la magnifique côte brésilienne.
Sa femme et le capitaine ont le mal de mer. Il me demande de régler la pléthore d'instruments de navigation auxquels il ne comprend rien, de débloquer certains autres en panne et d'étudier le manuel de fonctionnement de ceux dont il ne sait pas se servir : l'un des 2 pilotes automatiques est HS et l'autre est actuellement réglé « slalom larges courbes ». Je commence à entrevoir l'esprit du lieu.
Je paramètre l'anémomètre jamais utilisé. En attendant, on fait de la barre mannuelle.
Des paillottes de plages blotties dans une petite baie nous souhaitent la bienvenue sur la péninsule de Marau.
Paisible village hors du monde aux chemins de sable qui sinuent entre les cocotiers. Du linge sèche sur les barbelés. João expose son centaure en résine multi physionomie ailé sur la plage. Anes et chevaux font leur vie au ralenti.
Le dériveur est échoué sur la plage afin de démonter le moteur pour nettoyer les filtres encrassés. Je déploie quelques trésors de persuasion afin d'obtenir que le fuel de nettoyage du circuit ne soit pas balancé par dessus bord. Un simple bocal fait l'affaire.
Yeah ! Mon visuel « arc en fuel » n'aura pas de réalité immédiate.
J'apprends par ailleurs que l'écologie est un passe temps de guignols qui n'ont rien d'autre à f... de leur vie.
Et je suis édifié sur le fait que quand on en a bavé toute une vie et que la société vous a em... à ce point là, ben on lui doit plus rien et il est logique qu'on n'ait pas envie de s'empoisonner à mettre ses poubelles dans un récipient et les descendre à terre, vu que la mer est assez grande pour se débrouiller toute seule à recycler ce que « cette société merdeuse » a produit.
Vomitif au rapport interessant. Le mal de mer peut aller se rhabiller.
Surtout dans l'optique que si on a d'amis nulle part et que vos propres enfants vous ont tourné le dos, « ben on serait bien cons de s'em... à laisser propre derrière soi ».
Pur point de vue « après moi le déluge » que je vous engage à débattre sur d'autres bases...
Ainsi va la vie pour un brave philosophe à la trogne de père Noël suisse battant pavillon français...
Les belles plages où marcher sans fin sont les bienvenues jusqu'aux étoiles. Musique sur la plage et les cris joyeux des brésiliens qui font la fête.
Sommeil durement secoué par les vagues de la mer montante qui frappent violemment la coque sur le sable avant que le tirant d'eau soit suffisant pour faire flotter.
Nous partageons un repas convivial en toute équité : un bon gros steack bien épais grillé à la poëlle pour le pacha du bord et 2-3 morceaux de viande racornie bouillie à l'eau et des patates pour sa compagne et moi même.
4h00 : je suis sur le pont en attendant l'heure du départ. La marée est bonne pour quitter la baie. Les premières lueurs éclairent la mer puis la marée passe. Rien ne bouge. Je retourne me coucher. Comme on m'a senti bien fatigué on m'a laissé me reposer...
Le lendemain : temps gris. Risque de mauvaise visibilité.
Hého, ça suffit oui ?
Je me démène pour relever l'ancre et préparer la manoeuvre. Plus le choix.
Nous appareillons.
Le moteur crachotte : filtrer le réservoir hier était trop compliqué.
Parfois, les résidus prennent des vacances à l'autre bout du tank, c'est bien connu. Nous finissons par mettre la voile. Vent force 6-7, les ordres sont de prendre 2 ris et réduire le gênois.
On n'est pas rendus !
L'alternateur a lâché.
25 miles ponctués de mégots jetés par dessus bord et de paquets de cigarettes, d'emballages de biscuits, de pâté et autres crèmes entubées. Dommage également que j'arrive jamais à temps pour les récpetionner :
« c'est un réflexe, désolé ».
Village d'Itacaré.
Moteur. Contournement de récifs durant des heures au ralenti. Les way-points s'avèrent faux : on se retrouve où on ne devrait pas être. Le haut commandement s'affaire frénétiquement entres les cartes papier et les informatisées : ces crétins de cartographes ne sont pas capables de se mettre d'accord ! Panique !
Je prends la barre, résigné.
Arrivée dans la baie par un goulet extrêmement dangereux : une passe de 200 m de large secouées par quelques vagues, fond à 8 mètres...
Faut viser juste ! Va-t-on y survivre ?
Heureusement, une coque de noix de pêcheurs au moteur cacochyme nous invite à les suivre. Ils s'engagent benoîtement dans la passe en rigolant.
J'ai envie de sauter à l'eau et de finir à la nage.
Et si on me repêche :
Vous venez d'où comme ça ?
Heu, je me baladais sur le dos d'un dauphin, il vient juste de plonger, vous inquiétez pas pour moi... Ce voilier ? Non, connais pas... Muito obrigado.
De nada...
Itacaré donc.
Petite ville assez étendue par ses favellas qui escaladent les reliefs.
Les vagues explosent sur les rochers de la côte. De petites plages étroites nichées dans des criques engoncées entre les mornes recouverts par l'épaisse mata atlantica.
Un championnat international s'est précédemment déroulé sur une des plages du coin. Les surfers s'y donnent rendez vous. Y fleurissent les écoles de surf, les sheapers et pousadas luxueuses. Les gamins vont à la mer sur des bouts de planches rafistolées. On y joue moins au foot qu'ailleurs. Ici, le rêve pour sortir de la misère, c'est de devenir un jour champion de surf !
En attendant, on trimballe des glacières sur la plage et on se place aux endroits stratégiques avec un seau plein de glaçons, une machette et des cocos vertes. On s'improvise guide de tout ce que vous voudrez bien visiter.
La ville, comme beaucoup de ses soeurs balnéaires sur cette côte, a l'apparence d'une carte postale : d'un côté attrayante par ses petites rues pavées, ses petits parasols multicolores et ses cocktails de fruits aux saveurs multiples, les odeurs des plateaux de langoustes, de crevettes ou de crabes, de viandes grillées, sa vie trépidante... vous vous engagez dans un étroit passage et, à seulement quelques mètres de la belle rue clinquante, l'envers du décor vous saute aux yeux et au nez : les maisons aux murs lépreux dans lesquelles s'entassent dans une pièce surchauffée plusieurs personnes collées devant le seul luxe de l'endroit : une TV diffusant des feuilletons braillards et sirupeux règulièrement entrecoupés de pubs enjouées pour des produits souvent inaccessibles.
Au hasard des rencontres, un artisan qui travaille dans sa minuscule galerie-de-jour/chambre-de-nuit qu'il aménage selon le cas.
Antonio qui propose ses services de guide pour arpenter les chemins ultra balisés qui sillonnent la forêt jusqu'aux plages plus éloignées. Il vous promet une balade inoubliable et son prix varie vertigineusement suivant la gueule du client et son estimation arbitraire de vos disponibilités monétaires.
Maria-Rosa « masseuse » de profession, son matelas de camping et son sac d'huiles bon marché en bandoulière, qui vous propose un service professionnel à la carte, en désignant un petit sentier qui se perd dans la mata fournie...
J'atteins les plages les plus éloignées après plusieurs heures de marche à travers les collines boisées et les grands espaces plantés de cocotiers battus par les alizés. Des ouvriers trient cocos vides, timballes et pailles en plastiques dans les corbeilles d'osier accrochées aux arbres. La lumière du couchant colore les arbres d'une lumière dorée . La plage est déserte. Au loin, 3 points noirs apparaissent et disparaissent dans les creux des vagues, espérant chevaucher la vague mythique qui se fait attendre.
Je rentre à travers de vastes champs qui ondulent sur les collines. Le vent du soir amène des odeurs d'iode, de bouse de vache et de crottin de cheval. Les animaux à demi engloutis dans les belles herbes hautes se rapprochent de leurs étables avec vue sur la mer.
Une petite piste qui traverse un gué aux larges pierres plates. Une femme entourée d'enfants rince sa lessive dans une courbe de la rivière-marais paresseuse. Idéal territoire à caimans quand viendra la nuit.
La piste sinue entre les champs de coco, se sépare parfois en des directions sans panneau. Le chemin est éclairé par la lune et les étoiles. Une agréable odeur de foin coupé m'accompagne. La ville se signale au loin par une clartée orangée.
Il est tard. Je dois encore nager pour gagner le voilier : la marée est remontée, on ne passe plus à pied.
La journée avait pourtant bien commencé : 2 dauphins ont accompagné un bref moment le bateau qui franchissait la passe au moteur dans les premières lueurs de l'aube. Au bout de quelques heures, le vent forcit. La drisse de grand voile casse. Tiré de l'avant par le gênois, nous avançons bon gré mal gré.
La lecture des magazines touristiques doit donner au capitaine les indications supplémentaires pour notre arrivée dans l'un des ports de l'île il a une confiance aveugle un dessin gribouillé qu'on lui a donné dans un port -, devant la trahison de la carte informatique qui lui a fait faire des way-points erronés , il hésite à lui faire confiance.
En vue d'Ilhéus, nous contournons infiniment des hauts fonds puis faisant un vaste contour d'une « ile » par la droite qui finalement s'avère être une péninsule. Ses indications lui signalent l'entrée d'une rade dans laquelle il veut à tout prix aborder. Dans mes jumelles, je signale qu'il n'y a aucune ouverture de ce côté là. Si ! Si ! Son dessin est fiable. La rade n'existe finalement pas. Le fond diminue rapidement. Les vagues de haut fonds nous amènent dans un labyrinthe de roches affleurantes. Nous faisons demi tour en urgence.
Il lui est signalé une autre entrée de l'autre côté de la presqu'ile. Nous contournons donc le piton. L'entrée doit êre signalée par une épave. Point d'épave, seulement un poteau planté sur les récifs qui ne semble pas un mât. Le barreur confiant, en ce seul repère, -il n'en a pas d'autres- engage le bateau vers une vaste plage aux vagues bien creusées. Je signale une passe difficile sur la gauche du fait des vagues qui déroulent puissamment vers la plage : il nous faudra être dans leur travers pour s'y engager et contourner en un virage en épingle à cheveux des récifs affleurants. Dangereux. Les ordres tombent : le port est derrière : il faut l'atteindre !
Cap maintenu sur la plage.
Nous sommes pris en surf sur les vagues très puissantes et très creusées. Le fond se rapproche rapidement. Je crie de faire demi tour. Le moteur hurle et le bateau vire brusquement. En plein travers, il gîte quasi vertical. Nous reprenons le cap au large. Accroché des 2 mains au câble du gênois, tout l'avant plonge dans les creux et je disparais entièrement sous l'eau. La coque heurte le fond à plusieurs reprises. J'ai l'impression que tout va se disloquer.
Finalement, le moteur repasse la barre et nous nous trouvons moins secoués.
Le capitaine abandonne la barre à sa femme. Complètement désorienté, il se rue de son ordinateur à son dessin, vouant aux gémonies tour à tour cartographes, dessinateurs de fausses indications, autorités territoriales qui ne savent pas construire de repères à l'intention des navigateurs, et sa femme.
Le ton monte, les insultes se font plus violentes. Le bateau louvoie dangereusement : de violentes vagues battent les rochers de la péninsule que nous longeons dans l'autre sens.
De l'avant où je signale les récifs, j'entends des coups, des cris, des appels à l'aide à mon intention. Un dernier regard vers les brisants à courte distance, je me précipite vers l'arrière. La femme recroquevillée au fond du cockpit, les mains sur la tête, subit une avalanche démente de coups de poings, coups de pieds sur toutes les parties du corps. Je crie de cesser immédiatement, prêt à lui bondir dessus et le passer par dessus bord. Il se retourne, une gueule écumante de dément furieux, me menace d'un wynch et d'une bordée d'injures.
Sa femme, hurlant sans discontinuer se précipite entre ses jambes et dégringole l'échelle pour aller s'enfermer dans la plus proche cabine. Echange de regards menaçants des 2 côtés. Mais l'urgence de la situation remet les explications à plus tard. Il reprend sa barre folle et je retourne à l'avant surveiller les récifs.
Au ralenti, nous contournons le 1er port que nous avons passé précédemment. L'entrée est vaste et des bateaux y stationnent dans une marina après les docks et un cargo amarré. La vitesse est excessivement lente dans cette baie tranquille. Je descends entasser mes affaires dans mon sac.
La pauvre femme, à peine remise, tremblante, me demande ce que je fais : je débarque...
Je lui propose mon aide si elle veut rejoindre notre lieu de départ. Elle a déjà son passeport sur elle.
Elle a presque aussi peur de partir que de rester.
Je porte mes affaires sur le pont. Tout semble arrangé : une petite caresse sur les cheveux, quelques paroles lénifiantes. La tempête est passée pour eux. Tant mieux.
Pas pour moi.
Ce genre de comportement m'est insupportable et je ne ferais pas semblant de rien. Quoiqu'il m'en coûte, je ne cautionne jamais les actions lamantables de la bassesse humaine.
Alors adieu les rêves de voyage en bateau -pour cette fois. Je préfère y aller à pied dans des conditions plus saines.
L'ancre est jetée. Les explications sont brèves : je suis dans mon tort : je n'ai pas à me mêler des histoires de couples. Pas la peine de perdre son temps à expliquer certains principes aux de son acabit. Je lui balance le fric de mon temps à bord et lui rend le revolver toujours chargé planqué dans la pharmacie de bord qui lui appartient et que j'avais mis hors de vue en prévision d'un retour de crise.
Un regard vers la femme au fond du zodiac : elle baisse la tête, résignée.
Je saute à terre avec mes bagages et prends le premier bus pour la rodoviaria.
Que faire maintenant ? Rejoindre l'argentine par la route ? Je ne pourrais pas passer la frontière dans ce sens : je suis censé avoir quitté le territoire et être à bord d'un bateau. Il est tard, les bureaux de la police fédérale sont fermés.
J'ai gagné le statut de clandestin le temps de régulariser ma situation.
Et puis, l'esprit du voyage m'a abandonné pour cette fois.
Retourner sur mon ile, continuer ma mission et y construire un hâvre pour que ma chérie m'y rejoigne. C'est son anniversaire dans quelques jours.
Alors, certains soirs, je passe du temps sur le port à contempler les ombres chinoises des grééments se découpant sur ciel.
D'où vient-il ce ketsh racé ? Quelle est la prochaine destination de cette goelette ventrue ? Et ce catamaran, quelles aventures a-t-il déjà vécues ?
Plus besoin de choisir une destination avec une fléchette sur la carte. Toutes les destinations sont bonnes. A condition de renifler l'ambiance du bord avec plus d'attention. Dans le but de réellement partager expériences et aventure de route.
En attendant :
S'asseoir sur un quai et dessiner des bateaux en attendant que l'un d'eux lève l'ancre sous de meilleures augures..."
Run'S