Une petite nouvelle de notre cher graphiste, pour information, je vous rappel que ce blog est ouvert à tous, n'hésitez pas à nous faire passer des articles !
Je vous laisse avec ce texte inspiré du "Bulletin de Santé" de Brassens :
///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
Je ne suis ni Rimbaud, ni Baudelaire, ni Shakespeare. Cela est entendu. Cependant, je dis que s'il ne fait pas preuve d'un minimum d'ambition, l'écrivain velléitaire n'est qu'un sale gosse qui joue avec un crayon. Moi, j'ai un peu de prétention quand j'attrape ma plume pour raconter une histoire. Sinon, autant se la planter dans le cul - la plume -, et aller faire son intéressant sur les plateaux de télévision. D'autres le font. Et d'ailleurs de façon brillante, il faut le reconnaître.
Avec mes formules à l'emporte-pièce et ma mauvaise foi carabinée, il paraît du reste que je suis, moi aussi, un assez bon client pour les émissions où ça s'engueule. Et après tout, ce n'est pas parce qu'on a des lettres et un certain goût pour les phrases qu'on est forcé de bouder le petit écran. Certes, les animateurs qui m'invitent sont souvent vulgaires. Certes, ils sont presque toujours parfaitement incultes. Mais même si je me fais rare et que je n'use de leurs services qu'avec retenue, ils me donnent une caisse de résonance que nulle revue littéraire ne peut offrir.
Malgré ces pratiques publicitaires fort discutables, j'en conviens, je conserve quelques camarades lettrés qui me font l'amitié de continuer à lire mes livres et à les trouver plutôt bons. Contrairement à la mienne, leur vertu, intègre, ne s'accommode pas des filouteries audiovisuelles, et ils préfèrent, pour leurs propres écrits, souffrir d'un échec inique que jouir d'une réussite démesurée. Ils ont tort. Car le talent personnel n'est pas soluble dans la médiocrité des autres.
Une chose, néanmoins, me contrarie dans ce jeu médiatique convenu : la vérole papetière des gazettes nécrophages. À mon âge avancé, je ne compte plus le nombre de trépas dont cette presse faisandée m'a fait l'honneur. Et je conteste avec la dernière énergie le droit de ces gens à profiter financièrement de mes succès de librairie, en me prêtant cirrhose fulgurante, cancer en phase terminale ou chiasse afghane. Leur plus récente lubie consiste à me décrire quasi comateux en raison d'une spectaculaire perte de poids.
Agonisant, souffreteux, rongé de l'intérieur par un mal aussi mystérieux que vorace, j'en serais, d'après eux, à préparer mes obsèques afin d'épargner cette sinistre besogne à ma copieuse descendance. Ils n'y sont pourtant pas du tout, ces salauds, puisque je n'ai en réalité perdu ma bedaine chérie que pour plaire à mon actuelle petite danseuse. Une diva approximative, sans voix, à qui j'ai promis un texte de chanson, et qui s'efforce depuis bientôt dix ans de percer dans l'univers cruel de la variété industrielle.
Nonobstant un arrière-train magnifique, propre à débaucher le plus froid des séminaristes, elle n'est dotée d'aucun sens musical, ni d'aucun rythme vocal aptitudes dont elle s'approche toutefois de temps à autre lorsque nos agapes érotiques la conduisent au bord de dérailler. Toujours est-il qu'avec son beau cul et sa grande gueule, elle demeure injustement au bas d'une échelle que d'autres ont escaladé avec bien moins d'atouts.
Aujourd'hui, c'est jeudi. Le jeudi de ma diva. Seulement, cette semaine, je n'irai pas lui présenter mes hommages rituels. J'ai un autre rendez-vous. Tout aussi galant, du moins je le souhaite, mais beaucoup plus inattendu : la rédactrice en chef de l'une des feuilles de choux qui m'accablent en ce moment a sollicité une rencontre et, à sa grande surprise, j'ai accepté.
Par ailleurs épouse du principal gratte-papier qui sévit dans son torchon, elle espère probablement décrocher pour lui une interview exclusive qui lui permettrait de vendre autant de papier en démentant une fausse nouvelle qu'elle en a vendu en la propageant. Savant calcul de boutiquière ! Exclusive, la conversation le sera à coup sûr. Mais pour la dame et non pour son commis de mari, car j'entends que l'expédition se termine au plumard. Et avant la fin de la journée.
J'arrive volontairement très en avance au siège du journal. Je suis reçu tout de suite. Ma courtoisie naturelle, mon charme inégalé, mes attentions vigilantes, ont tôt fait de séduire la marchande de scandales à six sous. Elle ne voit rien venir. Déjà, elle minaude et expire. Encore dix minutes de ce traitement de faveur, et je pourrai m'asseoir près d'elle, lui toucher la main, l'embrasser même.
Une plaisanterie tout en finesse, qui déclenche un rire énamouré, un bon mot que j'emprunte à Guitry, voici qu'elle est à point. Cuite à coeur, saisie comme une viande rouge qu'elle est de toute façon, elle n'a plus la moindre chance de m'échapper. Ma chère, les vieillards de mon acabit n'ont pas tous abdiqué leur virilité !
Finalement, elle a le ventre et l'esprit plus étroits que je ne l'avais d'abord cru. Amazone émancipée tellement à l'aise dans son monde journalistique misogyne et brutal, elle a, paradoxe réjouissant, longtemps gardé des pudeurs de jeune fille tandis que je la besognais. Maintenant endormie à plat ventre sur le sofa de son bureau, elle ne reviendra pas à elle avant un bon quart d'heure. Je connais mon affaire ! Ce qui me laisse largement le temps d'accomplir le dessein polisson qui a motivé ma visite.
Je dévoile son petit derrière serré, qu'elle a pris soin de recouvrir d'une étole avant de s'assoupir. Joliment blanches, à peine striées de la marque de mes mains qui les ont pétries allègrement, ses fesses nues dessinent un arrondi gracieux sur le cuir noir du canapé. Je dégaine de ma poche revolver un crayon feutre indélébile. Mon préféré. Celui des dédicaces. Avec lui, le papier le plus glacé ne fait pas couler l'encre, le carton le plus rugueux ne fait pas trembler la main. Une merveille.
Sur la peau de ma proie, il glisse aussi vite que sur un bristol et trace mon autographe comme une marque au fer rouge. L'évanouie ne se réveille pas. Ce soir ou demain, cette signature en forme de poing sur la gueule claquera au visage de l'ignoble plumitif qui fantasme ma mort et ma déchéance. Il en gardera peut-être une marque sur le front : celle des cocus bafoués. Grand bien lui fasse.
Nègre